Du pouvoir à l’abus : comprendre les mécanismes de la domination ordinaire

17/06/2025 10:30

Suite des articles "La maladie du pouvoir", "Le pouvoir dans le couple, l’école, l’entreprise" et "Pouvoir et manipulation"

Le pouvoir n’a pas besoin de frapper fort pour faire mal.

Souvent, ce ne sont pas les violences spectaculaires qui abîment le plus les relations humaines, mais les abus diffus, répétés, intégrés, presque “normaux”. Ce sont ces formes invisibles, banalisées, parfois même justifiées, que nous allons explorer ici.

À travers ce nouvel article, je vous invite à décrypter les mécanismes insidieux de la domination ordinaire. C’est bien là que se joue, au quotidien, une grande partie du malaise relationnel, en entreprise, en famille, en politique ou dans la vie sociale.

Qu’est-ce qu’un abus ordinaire ?

Un abus ordinaire n’est pas nécessairement spectaculaire. Il n’implique pas forcément des cris, des sanctions visibles ou des rapports de force frontaux.

Il se glisse dans des gestes répétés, des mots ambigus, des silences imposés.

C’est un pouvoir qui dépasse son rôle, sans toujours en avoir l’air.

Il prend racine dans des déséquilibres structurels, culturels ou émotionnels. Il s’exerce souvent sans être nommé… et parfois sans être perçu comme un abus.

Exemples :

·         Un supérieur hiérarchique qui exige toujours plus sans reconnaître les efforts.

·         Un conjoint qui infantilise subtilement l’autre, sous couvert de protection.

·         Un professeur qui ridiculise un élève sous prétexte de l’endurcir.

Un proche qui impose ses choix "pour votre bien".

Les ingrédients de la domination ordinaire

Plusieurs mécanismes récurrents se retrouvent dans ces situations.

Un rapport de pouvoir non équilibré

L’un a plus d’autorité, de savoir ou de légitimité que l’autre. Ce déséquilibre n’est pas en soi problématique… sauf lorsqu’il est exploité pour affaiblir ou contrôler.

 Une relation rendue univoque

Une seule voix compte. L’autre se tait, s’adapte, subit. Le dialogue devient monologue.

 La peur comme levier

Peur du conflit, de la perte, de la sanction, du rejet… L’abus s’installe dans les interstices de l’insécurité.

 La confusion entretenue

L’abuseur peut brouiller les repères : il alterne critiques et compliments, proximité et distance, pression et protection. La victime doute, hésite, culpabilise.

Pourquoi ces abus passent-ils inaperçus ?

Parce qu’ils s’inscrivent dans des normes sociales acceptées :

·         « Il faut obéir à son chef. »

·         « C’est pour ton bien. »

« Tu te fais des idées. »

Ces justifications masquent la réalité du rapport de force. L’abus devient structurel, culturel, presque invisible. Il se fond dans les habitudes. Il s’habille en exigence, en pédagogie, en charisme, en bienveillance même.

Les conséquences sur le long terme

Les abus ordinaires érodent la confiance en soi, la motivation, la capacité à s’affirmer. Ils engendrent :

·         du stress chronique,

·         un sentiment d’injustice,

·         une fatigue émotionnelle,

une perte d’initiative ou de créativité.

Ils minent la qualité des relations et nourrissent des climats délétères : peur, repli, obéissance passive ou rébellion explosive.

Comment repérer une dynamique abusive ?

Voici quelques signes à surveiller :

·         Vous ne pouvez plus exprimer un désaccord sans craindre une réaction disproportionnée.

·         Vous avez l’impression que votre parole ne compte jamais.

·         Vous vous sentez en permanence « en faute », même sans raison claire.

·         Vous êtes dans une vigilance constante.

Vous n’osez plus poser de limites ou exprimer vos besoins.

Sortir des logiques de domination ordinaire

Face à ces mécanismes, plusieurs leviers sont possibles :

Développer sa lucidité

Nommer les rapports de pouvoir, même implicites. Identifier ce qui est dit, ce qui est tu, ce qui est imposé.

 Renforcer son ancrage personnel

L’estime de soi, la clarté sur ses valeurs et ses limites sont des antidotes puissants à la manipulation.

 Créer un espace de dialogue

Le pouvoir devient toxique quand il empêche la circulation de la parole. Favoriser l’écoute mutuelle et la co-construction est essentiel.

Se faire accompagner

Le coaching ou la supervision peuvent permettre d’identifier des schémas de domination, que l’on subit… ou que l’on reproduit sans s’en rendre compte.

Conclusion : prévenir l’abus par la conscience

Un abus de pouvoir ne commence pas toujours par une intention malveillante. Il naît souvent d’un aveuglement, d’un automatisme, d’une peur non nommée.

Mais il peut être désamorcé.

Cultiver un pouvoir conscient, respectueux, partagé, ce n’est pas renoncer à sa responsabilité, c’est l’exercer avec plus d’impact, plus d’intégrité, plus d’humanité.

Et vous ?

Avez-vous déjà observé des formes de domination ordinaire dans votre quotidien ?

Comment les avez-vous identifiées… ou dépassées ?

Cet article fait partie d’une série consacrée au rapport au pouvoir.

À lire ou relire :

1.      La maladie du pouvoir : quand le besoin de dominer prend le dessus

2.      Le pouvoir dans le couple, l’école, l’entreprise : où sont les lignes rouges ?

  1. Pouvoir et manipulation : jusqu’où peut-on aller ?

À venir :

Vers un leadership conscient : réconcilier pouvoir et éthique