Pouvoir et peur : comment l’émotion gouverne nos choix
Septième volet de la série « Comprendre le pouvoir »
La peur est une émotion universelle, archaïque, puissante. Elle protège. Elle avertit. Elle mobilise.
Mais elle peut aussi servir d’instrument de domination. Utilisée consciemment ou non, la peur devient un levier de contrôle, capable de façonner les comportements, de neutraliser la pensée critique et de verrouiller la soumission.
Ce septième article explore les liens étroits entre pouvoir et peur, dans les sphères politique, éducative, sociale et professionnelle. Il invite à une prise de conscience essentielle :
Tant que nous ne comprenons pas comment la peur gouverne nos choix, nous restons vulnérables à ceux qui savent l’exploiter.
La peur : un ressort émotionnel profondément humain
Avant tout, rappelons ceci : la peur n’est pas en soi négative. Elle joue un rôle adaptatif : fuir un danger, s’alerter d’un risque, s’ajuster à une menace réelle.
Mais dans les relations de pouvoir, elle est souvent instrumentalisée
pour obtenir l’obéissance
pour bloquer l’action,
pour empêcher l’opposition.
Celui qui contrôle la peur… contrôle les décisions.
Trois sphères où la peur façonne les comportements
1. Peur et pouvoir politique
Les régimes autoritaires ne se maintiennent pas seulement par la force : ils gouvernent par la peur.
Peur du chaos, peur de l’ennemi, peur de perdre ses droits ou sa sécurité.
Même dans les démocraties, la peur peut être un levier électoral ou médiatique :
agiter des menaces, exagérer des risques, polariser les émotions pour justifier des restrictions, des lois sécuritaires ou des discours clivants.
Exemples
Menaces permanentes (terrorisme, immigration, insécurité) utilisées comme justification de lois d’exception.
Discours alarmistes créant un climat d’urgence propice à la centralisation du pouvoir.
2. Peur et pouvoir éducatif
Dans certains modèles éducatifs, la peur structure la relation d’autorité :
peur de l’échec,
peur de la sanction,
peur du jugement.
Elle produit l’obéissance, mais souvent au détriment de la créativité, de l’audace et de l’autonomie.
Un élève qui a peur ne cherche plus à apprendre : il cherche à éviter l’erreur.
La soumission peut sembler efficace à court terme, mais elle détruit la confiance à long terme.
3. Peur et pouvoir social ou professionnel
Dans les organisations, la peur se manifeste sous des formes subtiles mais omniprésentes :
· peur de ne pas être à la hauteur,
· peur de perdre son emploi,
· peur de déplaire à la hiérarchie,
peur du conflit ou du rejet du groupe.
Cette peur structure les comportements. Elle pousse à se conformer, à se taire, à accepter des décisions injustes ou absurdes.
La peur inhibe. Elle ferme l’esprit critique. Elle rend docile.
Les mécanismes psychologiques de la peur soumise au pouvoir
L’ancrage émotionnel
Plus une peur est répétée, plus elle devient familière… et puissante.
C’est le principe des narrations anxiogènes (médias, discours politiques, management par la pression).
La sidération
Face à un choc émotionnel, le cerveau entre en mode de survie. Il désactive l’analyse, suspend le jugement. L’autorité en place apparaît alors comme la seule issue.
Le conditionnement progressif
Comme l’a montré la psychologie comportementale, des injonctions répétées avec menace latente créent une obéissance automatique, même sans contrainte visible.
Quand la peur devient système : les effets à long terme
Un pouvoir fondé sur la peur entraîne :
· la démobilisation des individus,
· une perte d’initiative,
· une soumission intériorisée,
· une relation altérée à l’autorité (faite de méfiance ou de dépendance),
une reproduction inconsciente de la violence subie.
Autrement dit : la peur alimente la peur. Et elle se transmet.
Comment sortir du pouvoir par la peur ?
Face à ces constats, il est possible d’agir, individuellement et collectivement.
1. Nommer la peur
Ce qui est nommé cesse de dominer en silence. Reconnaître ses peurs, c’est déjà reprendre du pouvoir sur elles.
2. Comprendre les mécanismes
Décoder les ressorts émotionnels, les scénarios répétés, les discours anxiogènes permet de se désidentifier de la manipulation.
3. Renouer avec une autorité qui rassure sans écraser
La vraie autorité ne s’impose pas par la peur : elle repose sur la clarté, la cohérence, la relation.
4. Encourager la parole et la sécurité psychologique
Dans les familles, à l’école, au travail : créer des espaces où la peur n’est pas un outil de pouvoir, mais un signal d’ajustement.
Conclusion : la peur, indicateur ou instrument ?
La peur peut être un message à écouter ou un moyen d’asservir.
Elle peut être utile si elle alerte, mais destructrice si elle paralyse la pensée.
Le pouvoir éthique ne joue pas avec la peur.
Il la reconnaît, il l’apaise, il crée des conditions de confiance pour agir en conscience.
Et vous ?
· Dans votre vie, dans votre rôle professionnel, dans votre posture de leader : comment la peur influence-t-elle vos décisions, vos réactions, vos silences ?
Quelle place laissez-vous à la sécurité, à la parole, à l’émotion dans vos relations de pouvoir ?