La dictature du like : quand l’algorithme décide de ce qui compte

04/11/2025 09:52

Un geste minuscule, presque automatique : on fait défiler l’écran, on regarde, on clique sur “j’aime”. Rien de plus banal. Et pourtant, ce simple geste a fini par façonner une grande partie de notre rapport au monde numérique.
Au départ, le “like” semblait anodin. Un petit signe de reconnaissance, une façon de dire “je suis là”, “je t’ai lu”. Mais très vite, il est devenu bien plus qu’un symbole. Il a pris le pouvoir.

Quand un clic devient une boussole
Dans l’univers des plateformes, le like agit comme une boussole invisible. Il ne dit pas seulement ce que nous aimons, il détermine ce qui existe. Ce qui n’est pas liké s’efface, ce qui l’est beaucoup devient visible, relayé, mis en avant.

L’algorithme observe. Il enregistre nos réactions, nos hésitations, la durée de notre regard sur une image ou une phrase. Il dresse le portrait de nos émotions. Et, sans que nous en ayons conscience, il trie, hiérarchise, sélectionne.

Peu importe la justesse d’une idée ou la qualité d’un propos : ce qui compte, c’est ce qui fait réagir. L’émotion devient le nouveau critère de vérité.

 L’empire de l’émotion

Nous vivons désormais dans un écosystème où l’émotion gouverne la visibilité. Plus un contenu provoque de réactions, plus il sera montré. C’est aussi simple, et aussi redoutable, que cela.

Ce mécanisme, apparemment neutre, a un effet profond : il amplifie ce qui divise, ce qui choque, ce qui fait vibrer. La colère, la peur, l’indignation circulent plus vite que la réflexion. Les nuances, elles, se perdent dans le bruit.

Nous ne sommes plus dans un espace d’échange, mais dans une arène d’émotions. Et dans cette arène, le calme, la complexité et la lenteur n’ont que peu de chances de survivre.

 La visibilité comme pouvoir

La visibilité est devenue la nouvelle forme de pouvoir. Celui qui est vu existe, celui qui ne l’est pas disparaît. Mais cette visibilité n’a rien de naturel : elle est produite, calculée, pilotée par des algorithmes qui obéissent à une logique simple, maximiser le temps passé sur la plateforme.

Dans cette logique, le like est une unité de mesure sociale. Il ne sert plus seulement à exprimer une opinion : il crée une hiérarchie de valeur. Ce qui plaît semble crédible, ce qui se répand paraît vrai. La popularité devient un argument en soi. Pourtant, être vu ne signifie pas avoir raison. Mais dans le flux infini des publications, cette distinction s’efface.

 Le regard des autres, devenu miroir
Le besoin de reconnaissance est aussi vieux que l’humanité. Ce qui change, c’est qu’il se compte désormais. Le like transforme le regard de l’autre en chiffre, la reconnaissance en statistique.
Nous publions, nous attendons. Quelques secondes, quelques heures parfois. Puis viennent les réactions. Chaque notification déclenche un petit frisson de satisfaction. Et si rien ne vient, un léger vide s’installe.
Peu à peu, sans même s’en rendre compte, chacun apprend à publier pour plaire.
Le discours s’adapte, le ton se modifie, la spontanéité se mesure.
Ce n’est plus : “Qu’ai-je envie de dire ?”
Mais : “Qu’est-ce qui va marcher ?”
Les réseaux nous avaient promis la liberté d’expression ; ils ont parfois créé la peur du silence.

 L’économie de l’attention
Derrière cette mécanique se cache une économie entière. Les plateformes ne vendent pas des services, mais du temps. Notre temps. Notre attention. Nos émotions.
Plus nous restons connectés, plus la publicité circule, plus les données s’accumulent.
Le like est donc bien plus qu’un simple bouton : il est la base d’un modèle économique.
Il alimente une économie qui transforme la relation humaine en marchandise. Nous ne sommes pas les clients, mais les produits. Nos gestes, nos habitudes, nos émotions sont analysés, découpés, revendus.
Et le plus fascinant, c’est que nous participons volontairement à ce système. Personne ne nous y force.
Nous offrons nos émotions comme d’autres offraient jadis leur force de travail.

 La dépendance au regard
Le cerveau, lui, adore cette mécanique. Chaque like reçu libère un peu de dopamine, ce neurotransmetteur du plaisir et de la récompense.
Ce mécanisme, simple et redoutable, entretient une dépendance douce, presque invisible.
Le like agit comme un micro-soulagement : un signe qu’on existe, qu’on est vu, qu’on compte. Mais cette gratification ne dure qu’un instant. Alors on recommence. Et le cycle s’installe : publier, attendre, vérifier, recommencer.
Cette boucle émotionnelle n’est pas anodine. Elle change notre rapport au temps, à la reconnaissance, à nous-mêmes. Nous cherchons à exister dans le regard des autres — même virtuel.

 L’algorithme comme arbitre
Derrière tout cela, un acteur discret : l’algorithme. Ni tyran, ni ange, il n’a pas de morale.
Il ne cherche ni la vérité, ni la justice. Il cherche simplement à maximiser l’engagement.
Mais cette logique sans intention crée un effet immense : elle établit une hiérarchie des émotions au détriment des idées. Ce qui émeut l’emporte sur ce qui éclaire.
Ainsi, le like devient un juge collectif, un baromètre du monde numérique. Ce qui plaît devient visible, ce qui dérange s’efface.
L’opinion publique, autrefois façonnée par le débat, se façonne aujourd’hui par la viralité.

 Reprendre le pouvoir du sens
Résister à la dictature du like, ce n’est pas refuser la technologie. C’est refuser de la laisser penser à notre place.
Ce pouvoir-là, nous pouvons le reprendre, à condition de retrouver la conscience du choix.
L’important n’est pas de fuir les réseaux, mais d’y habiter autrement. De poster moins pour être aimé, et plus pour partager. De cliquer moins par réflexe, et plus par discernement.
Le numérique n’est pas un ennemi. Il reflète nos failles, nos forces, nos désirs de reconnaissance. Mais comprendre ce reflet, c’est déjà commencer à s’en libérer.

Conclusion
La dictature du like n’a pas besoin d’ordres, ni de lois. Elle agit par séduction. Elle transforme nos émotions en données, notre attention en marché, notre regard en marchandise.
Mais derrière cette mécanique, il reste une liberté : celle de choisir ce que l’on regarde, ce que l’on pense, ce que l’on partage.
L’algorithme décide de ce qui compte, seulement si nous lui laissons ce pouvoir.
Reprendre la main, c’est redevenir auteur. Auteur de nos choix, de nos émotions, de nos mots.