La dictature du like : quand l’algorithme décide de ce qui compte

17/07/2025 09:11

Sixième volet de la série « Le pouvoir numérique : décryptage »

Introduction

Les réseaux sociaux ont ouvert un espace inédit d’expression, de partage et de reconnaissance. Mais derrière cette promesse d’émancipation se cache une mécanique bien plus insidieuse : celle de l’économie de l’attention, dictée par des algorithmes invisibles qui sélectionnent, trient, valorisent… et écartent.
Dans ce système, un critère règne en maître : la performance sociale d’un contenu, souvent mesurée par un indicateur trompeur : le like.

Qu’est-ce qui fait qu’un message « fonctionne » ? Pourquoi certains contenus émergent-ils tandis que d’autres, pourtant plus profonds ou plus utiles, sombrent dans l’oubli numérique ?
Cet article propose une analyse critique de cette logique algorithmique, de ses effets sur notre rapport à l’information, à la reconnaissance, à la vérité… et à nous-mêmes.

I. L’économie de l’attention : logique et dérives

1. Le carburant des plateformes : capter et retenir l’attention

Chaque réseau social fonctionne sur un principe simple : plus vous passez de temps sur la plateforme, plus elle gagne de l’argent.
 Pour cela, les algorithmes filtrent et classent les contenus selon leur capacité à générer de l’engagement immédiat : réactions, partages, commentaires.

Le résultat ?
Ce ne sont plus les contenus les plus pertinents qui sont mis en avant, mais ceux qui :

  • déclenchent une émotion forte (colère, rire, indignation),
  • suscitent la polémique ou la provocation,
  • simplifient à l’extrême un sujet complexe.

 Ce qui fait réagir prend le dessus sur ce qui fait réfléchir.

II. La course à la visibilité : entre récompense sociale et auto-censure

1. Les effets psychologiques du like

Le like est devenu un baromètre de valeur personnelle.
Recevoir beaucoup de likes, c’est être vu, reconnu, validé.
Ne pas en recevoir, c’est parfois vécu comme un échec, une invisibilisation, voire un rejet.

Dans ce contexte, nous ne publions plus seulement ce que nous pensons, mais ce qui est susceptible de plaire, d’attirer, de buzzer.
Et progressivement, l’espace de liberté se referme :

  • Auto-censure des opinions complexes ou nuancées,
  • Formatage des contenus selon les « codes qui marchent »,
  • Répétition des messages qui garantissent de l’engagement.

2. La tyrannie du format court, choc, viral

L’algorithme favorise les contenus rapides à consommer :

  • phrases percutantes,
  • images choc,
  • vidéos courtes.

Le raisonnement sur le long terme, la réflexion approfondie, la pensée nuancée n’ont plus leur place.
La profondeur devient un luxe numérique.

III. Quand l’algorithme devient prescripteur culturel

1. Ce que vous voyez, ce que vous croyez

L’algorithme façonne notre perception du monde.
Il nous montre ce qu’il pense que nous voulons voir, en fonction de nos comportements passés.
Ce faisant, il :

  • renforce nos biais cognitifs (bulle de filtres),
  • réduit notre exposition à la diversité des points de vue,
  • oriente nos jugements sans que nous en ayons conscience.

Ce n’est plus l’intérêt général qui détermine ce qui compte, mais la logique de performance.

2. Influence sur les créateurs, les médias, les institutions

Pour exister dans ce nouvel écosystème, les acteurs doivent s’adapter au langage algorithmique :

  • les médias privilégient les titres sensationnalistes,
  • les entreprises adaptent leurs discours pour maximiser l’impact,
  • les individus eux-mêmes deviennent des « marques personnelles », optimisant leur visibilité à tout prix.

 Dans ce cadre, le fond cède la place à la forme, et l’authenticité devient difficile à distinguer du calcul stratégique.

IV. Vers une attention consciente : repenser nos pratiques

1. Redonner du pouvoir au lecteur

Nous ne sommes pas condamnés à subir l’algorithme.
Nous pouvons :

  • choisir de suivre des sources exigeantes,
  • varier les formats que nous consommons,
  • ralentir notre navigation pour interroger nos réactions.

Chaque clic est un vote. Chaque partage est un signal.

2. Réhabiliter les contenus qui prennent le temps

Il est possible de reconstruire des espaces numériques qui valorisent :

  • la complexité,
  • la réflexion,
  • la nuance.

Cela suppose un engagement collectif, mais aussi un choix individuel de ralentir, d’approfondir, de résister à l’instantanéité.

Conclusion : Et si on sortait de la dictature du like ?

Le like n’est pas qu’un bouton.
C’est un symbole d’un système qui conditionne notre manière de penser, de publier, de juger, parfois même de nous définir.

Sortir de cette logique ne signifie pas rejeter les réseaux sociaux, mais apprendre à les habiter autrement.
Cela passe par une éducation à l’attention, à la lenteur, à la pluralité des points de vue.

Ce que nous valorisons façonne ce que nous devenons.
Et si nous décidions, collectivement, de ne plus laisser un algorithme décider de ce qui compte ?