Influenceurs : nouveaux détenteurs du pouvoir symbolique ?

24/07/2025 18:34

Introduction

Ils cumulent des millions d’abonnés. Ils orientent nos choix, façonnent nos désirs, modèlent nos normes. Longtemps vus comme des figures secondaires de l’espace numérique, les influenceurs sont devenus, en moins de deux décennies, de véritables acteurs du pouvoir contemporain.

Mais de quel pouvoir parle-t-on ?
Ce n’est ni le pouvoir politique, ni le pouvoir économique au sens traditionnel. C’est un pouvoir plus subtil, plus diffus : le pouvoir symbolique, celui de dire ce qui compte, ce qui vaut, ce qui est désirable, admirable, crédible.

Cet article propose une analyse sociologique du phénomène des influenceurs comme nouvelle incarnation de ce pouvoir symbolique à l’ère numérique :

·         Qui sont-ils réellement ?

·         D’où tirent-ils leur légitimité ?

·         Quel pouvoir exercent-ils – et sur qui ?

Quelles responsabilités cela implique-t-il ?

I. De la célébrité à l’influence : une mutation profonde

1. L’influenceur n’est pas une simple star

Contrairement aux figures traditionnelles de la célébrité (cinéma, sport, télévision), l’influenceur se distingue par :
• une relation directe avec son audience,
• une récurrence quotidienne,
• une authenticité apparente,
• une capacité à monétiser son capital symbolique sans médiation.

 L’influenceur ne reçoit pas sa notoriété : il la construit au fil des posts, des stories, des collaborations, des interactions.

2. La naissance d’une économie de l’attention personnalisée

Avec les réseaux sociaux, chacun devient un média potentiel.
Mais certains ont su tirer parti de l’algorithme, de la mise en scène de leur histoire personnelle, de l’émotion et du ciblage pour capter durablement l’attention."

 L’influenceur devient alors intermédiaire entre les marques et le public, mais aussi prescripteur de normes sociales, esthétiques, comportementales.

II. Un pouvoir symbolique qui redéfinit les hiérarchies

1. D’un capital économique à un capital d’attention

Dans les logiques traditionnelles, le pouvoir repose sur :
• la richesse (capital économique),
• la fonction (capital institutionnel),
• le savoir (capital culturel).

 Aujourd’hui, le nombre d’abonnés, le taux d’engagement et la capacité à créer du buzz deviennent les nouveaux critères de légitimité.

 L’influenceur n’est pas un expert, un élu ou un intellectuel. Mais il influence plus que certains d’entre eux.

2. L’autorité par la proximité

Ce pouvoir repose sur une forme de capital relationnel :
• Tu n’admires pas seulement un influenceur : tu t’identifies à lui.
• Il n’est pas distant : il te parle directement.
• Il ne vend pas seulement un produit : il vend une vision du monde, une promesse de vie.

III. Typologie des influenceurs : figures et enjeux

1. Influenceurs de style de vie (lifestyle)

Santé, bien-être, alimentation, routines de vie : ils promeuvent des modèles de comportement, souvent normés, parfois culpabilisants.

2. Influenceurs experts

Coachs, formateurs, vulgarisateurs : ils capitalisent sur leur savoir, mais doivent concilier rigueur et attractivité.

3. Influenceurs militants

Ils s’engagent sur des causes sociales, politiques, écologiques.
Mais où s’arrête l’engagement sincère, où commence la récupération opportuniste ?

4. Influenceurs-business

 Entrepreneurs ou vendeurs de formation, ils maîtrisent les codes du marketing numérique.
Leur discours est performatif : “si tu me suis, tu peux réussir comme moi.”

IV. Quels effets sur la société ?

1. Normalisation des discours et des comportements

• Valorisation de l’apparence, de la réussite, de la productivité,
• Mise en scène constante du bonheur,
• Pression implicite à l’alignement.

 Le risque : une société de façade, où l’image précède le réel.

2. Effets sur les jeunes générations

Les adolescents sont les premiers exposés.
 L’influence numérique peut devenir un modèle d’identification, mais aussi une source de mal-être, de comparaison, de désillusion.

V. Vers une régulation éthique de l’influence ?

1. Un pouvoir sans responsabilité ?

Les influenceurs ne sont ni élus, ni encadrés.
Pourtant, ils ont un impact massif sur les comportements de consommation, les opinions politiques, la santé mentale.

 D’où une question centrale : comment exercer un tel pouvoir sans cadre éthique ?

2. Vers une conscience professionnelle de l’influence

De plus en plus de voix appellent à :
• plus de transparence sur les partenariats,
• une limitation des pratiques manipulatoires,
• une éducation à l’esprit critique numérique.

Conclusion : le pouvoir symbolique, nouvelle frontière du numérique

Les influenceurs incarnent un nouveau pouvoir du XXIe siècle :
- diffus,
-  non institutionnalisé,
- mais extrêmement puissant.

Ils ne dirigent pas par la loi ou par la force, mais par l’image, le récit, la proximité.
Ils redessinent notre imaginaire collectif, nos aspirations, nos jugements.

Il ne s’agit pas de diaboliser l’influence.
Mais de la comprendre comme un fait social majeur, et d’en interroger les règles, les effets, les limites.

Le pouvoir symbolique n’est pas un détail.
C’est le pouvoir de définir ce qui a de la valeur – et donc, de modeler nos sociétés.